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Mise à jour : 03/07/2008 18:34:52

B-Cargo et la récolte des betteraves

Les grands Express Européens

Agatha Christie, son oeuvre

Der zug kommt

B-Cargo et la récolte des betteraves

POPERINGE, GARE SUCRIÈRE.

Avec l'automne apparaissent sur le réseau de la SNCB de singuliers et lourds trains de wagons tombereaux d'un type bien particulier. Ils transportent la récolte de betteraves des exploitations agricoles jusqu'à la sucrerie où cette plante un peu particulière sera transformée... en sucre. Ainsi, cette année encore, si la récolte est bonne, B-Cargo espère transporter quelque 100 000 tonnes de betteraves sucrières depuis la gare de Poperinge, dans le Westhoek, jusqu'à la sucrerie de Moerbeke, dans le pays de Waas. L'occasion n'est-elle pas toute trouvée d'évoquer les tenants et aboutissants de ce trafic séculaire, d'autant plus que sa survie dans les années à venir s'avère problématique?

Une ligne à voie unique, électrifiée depuis 1987 en 3 000 volts courant continu... Une longue ligne droite, d'une dizaine de kilomètres, en palier. Nous sommes au bout du Westhoek, aux confins de la province de Flandre-Occidentale et de la France, sur cette section que les automotrices «Break» avalent à 120 km/h au départ d'Ypres... C'est le «plat pays», si bien immortalisé par le poète Jacques Brel, au fond duquel se trouve la ville de Poperinge.

POPERINGE ET SA GARE : UNE HISTOIRE TRÈS ANCIENNE

Savez-vous que la section de ligne Ypres - Poperinge est très ancienne ? Moins de dix ans après l'inauguration du chemin de fer en Belgique, en 1835 entre Bruxelles et Malines, des investisseurs anglais se proposaient déjà d'équiper la province de Flandre-Occidentale en lignes de chemin de fer. À l'époque, l'intention n'était pas tellement de transporter des voyageurs, mais plutôt de capter des flux prometteurs en matière de transport de marchandises. À cet égard, la Flandre-Occidentale recelait bien des potentialités : elle était très peuplée et la demande en matériaux et combustibles y était très forte. La province de Hainaut voisine, à l'époque en plein essor dû à la révolution industrielle, était son fournisseur attitré notamment pour le charbon, l'énergie fossile universelle de l'époque. À l'inverse, la Flandre-Occidentale était exportatrice de produits agricoles, pour lesquels le recours à un moyen de transport de masse s'imposait. Poperinge ne se flatte-t-elle pas, encore aujourd'hui, d'être la capitale du houblon... mais aussi de la dentelle ?

La ville de Poperinge est desservie par le rail
depuis plus de cent cinquante ans et sa gare,
récemment rénovée, est toujours l'édifice originel.

Les possibilités de transport massif de pondéreux qu'offrait le chemin de fer n'échappèrent donc pas à ces investisseurs anglais, attirés également en Flandre-Occidentale par la modicité des frais d'établissement de lignes de chemin de fer : un relief plat, donc des terrassements et ouvrages d'art réduits au minimum.

La « Société des chemins de fer de la Flandre-Occidentale », dont le siège social était établi à Londres, obtint donc la concession et couvrit la région de voies ferrées en neuf ans : le programme de mise en service, retardé par les tensions internationales, commença avec la ligne Bruges - Torhout en 1846, prolongée l'année suivante jusqu'à Courtrai. De Courtrai, le rail atteint Comines en 1853... Puis Ypres et Poperinge le 20 mars 1854. Pour la petite histoire, toutes ces lignes furent vraiment construites à l'économie : non moins de 322 passages à niveau les traversaient, le plus souvent surveillés par des gardes-barrières (le seul métier féminin qu'offraient à l'époque les sociétés ferroviaires : une main-d'oeuvre bon marché dont le salaire était souvent payé « en nature », soit le logement gratuit dans la « maisonnette du passage à niveau »).

Revenons ainsi à la ville de Poperinge, desservie par le rail depuis plus de cent cinquante ans... La gare en a gardé un témoignage monumental : son bâtiment actuel est toujours l'édifice originel, construit par la « Société anonyme des chemins de fer de Flandre-Occidentale ». Comme souvent, pour des raisons d'économie, la compagnie privée se dotait d'un plan standardisé pour ses gares, à géométrie variable selon l'importance de la localité desservie et les nécessités du service. Ainsi retrouve-t-on des bâtiments de gare du type de celui de Poperinge à Aarsele, Meulebeke, Vlamertinge, Wervik et Wevelgem : une modeste construction, tout en longueur, de style néo-classique, sous toiture à croupes, haut d'un seul niveau. Les façades tout simplement enduites lui donnent une esthétique sobre : l'arc en plein cintre y règne en maître. Seul, le nombre de travées varie selon l'importance de la gare : ainsi, la gare de Poperinge compte-t-elle cinq travées. Aujourd'hui, seuls les bâtiments originels de Meulebeke et Poperinge sont encore conservés dans leur état d'origine : « B-Holding » vient de procéder à une très heureuse rénovation de celui de Poperinge et lui a donné une agréable touche de fraîcheur en faisant repeindre les façades en blanc-crème et les châssis et portes en un jaune coquille d'oeuf... peut-être - qui sait... évocateur de la robe de la bière, fabriquée à base de houblon, une des productions traditionnelles de l'agriculture locale.

LE SUCRE ET LE CHEMIN DE FER

Mais il est une autre production régionale, pour laquelle le chemin de fer est le transporteur traditionnel : la betterave sucrière...

La culture de la betterave sucrière dans la région de Poperinge est en fait concomitante de l'apparition du chemin de fer. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, l'Europe consommait exclusivement du sucre de canne, très coûteux car il provenait d'outre-mer, des Antilles notamment, à l'époque colonie française. À partir de 1792, les guerres entre la France révolutionnaire et l'Angleterre, puis les entreprises de Napoléon amenèrent les Anglais, maîtres des mers, à décréter le blocus continental, afin de couper la France de ses colonies et de ses approvisionnements traditionnels. Les effets ne se firent pas attendre : ainsi, dès 1806, le sucre de canne avait pratiquement disparu des échoppes européennes. La France dut dès lors se tourner vers des substituts pour un produit qu'elle ne recevait plus. Les chercheurs en agronomie se souvinrent de la remarquable découverte du savant allemand, Andreas Margraaf, qui avait démontré dès 1747 que les cristaux sucrés obtenus à partir de la betterave étaient semblables à ceux de la canne à sucre. En 1811, des scientifiques français réussirent à produire des pains de sucre au départ d'une variété de betterave. Napoléon fut si impressionné qu'il décréta que 32 000 hectares de terres devaient immédiatement être dédiés à la betterave et qu'il subventionna la construction de sucreries. Des dizaines d'installations virent ainsi le jour en quelques années, essentiellement dans le nord de la France et dans nos régions - alors rattachées à la France - mais aussi en Allemagne, en Autriche, en Russie et au Danemark.

Voilà pourquoi la culture de la betterave sucrière est encore aujourd'hui grâce à un sol particulièrement approprié -une des cultures traditionnelles de la Flandre. Le processus de fabrication du sucre de betterave présente au moins deux particularités. La première est que la récolte de la plante a lieu exclusivement en automne; la seconde, que les sucreries ne sont pas nécessairement implantées sur le site de culture des betteraves : elles doivent donc disposer d'aires de stockage suffisantes afin de garantir une production régulière au cours de l'année... et d'un outil de transport adéquat.

La cour à marchandises de la gare de Poperinge s'anime trois fois par an,
d'octobre à décembre, pour assurer le transport spécifique des betteraves
entre le lieu de leur récolte et les industries agro-alimentaires.

C'est ici que le chemin de fer intervient: par sa capacité de chargement massif de pondéreux, il est le transporteur tout désigné des betteraves sucrières, une fois récoltées, vers les industries agro-alimentaires chargées de sa transformation. Si la racine de la betterave sucrière est essentiellement utilisée pour la fabrication du sucre, elle permet aussi d'obtenir des produits dérivés comme la mélasse que l'on utilise pour fabriquer de la levure, de l'alimentation pour bétail, voire des produits plus inattendus comme le genièvre, ou... les corn-flakes. Quant à la pulpe, elle peut servir d'engrais agricole.

POPERINGE, GARE SUCRIÈRE SAISONNIÈRE

Le rail a donc transporté des betteraves pratiquement depuis son apparition dans nos régions : non seulement le grand chemin de fer, mais aussi le vicinal. Jadis, les agriculteurs convergeaient en automne avec des charrettes lourdement chargées de leur récolte de betteraves vers une gare équipée d'une cour à marchandises appropriée. Après pesage sur la bascule, les betteraves étaient chargées à la main dans des wagons tombereaux afin d'être acheminées vers les sucreries.

Aujourd'hui encore, la gare de Poperinge a pu conserver cette singulière activité traditionnelle, tout en adaptant ses méthodes de transbordement à la technologie moderne. C'est ainsi qu'outre ses trois voies à quai électrifiées, terminus des trains IC cadencés venant de Saint-Nicolas-Waas et rejoignant Poperinge par Termonde, Bruxelles, Denderleeuw, Zottegem et Courtrai, Poperinge dispose d'une cour à marchandises comportant notamment deux voies encadrant un curieux engin à bandes transporteuses que les cheminots ont vite affublé du nom de « sauterelle », vu son aspect extérieur. Cet appareil permet en fait de transborder automatiquement les betteraves sucrières des camions et autres remorques affrétées par les agriculteurs, dans des wagons de chemin de fer, en fait de simples « tombereaux ».

La cour à marchandises ainsi équipée s'anime en fait trois mois par an, d'octobre à décembre. Chaque jour de la semaine, une rame de wagons-tombereaux défile, par simple gravité, sous la sauterelle : les wagons sont ainsi remplis à ras bord ... de betteraves.

Le tout nouveau Rail Cargo Center de Gand traite ce transport très spécifique de betteraves, qui représente actuellement le seul trafic fret de la ligne Poperinge - Ypres. Certes, le volume de trafic dépend-il de la qualité de la récolte. Pour 2005, B-Cargo espère transporter quelque 100 000 tonnes de betteraves de Poperinge à la sucrerie de Moerbeke-Waas, en Flandre-Orientale, quelque part entre Gand et Anvers. Ainsi, journellement, un train complet de betteraves traverse-t-il en quelque sorte la Flandre profonde. Au départ de Poperinge, il rejoint d'abord Gand par Ypres, Comines et Courtrai. Au nord du noeud ferroviaire gantois, il emprunte ensuite la ligne industrielle 204 bifurcation Borna - Gent- Rodenhuize - Rostijne, au bout de laquelle est raccordée la ligne 77A Rostijne - Moerbeke, un dernier vestige de l'ancienne ligne Sint-Gillis-Waas - Zelzate, maintenue en service exclusivement pour ce trafic très particulier, afin d'alimenter la sucrerie de Moerbeke implantée en bout de ligne. Ce train lourd a bien besoin de toute la puissance de deux locomotives diesel série 77 : car, si la ligne au départ de Poperinge est en palier, au-delà d'Ypres, il doit affronter la rampe de Zillebeke... au beau milieu des Ardennes flamandes et de ses côtes raides qui ont permis à des générations de cyclistes flamands de trouver un terrain d'entraînement propice à leurs exploits internationaux. Si le transport de sucre ainsi opéré par B-Cargo chaque année à la saison automnale a le caractère d'une activité séculaire, qui soulage le réseau routier d'autant de camions à forte charge, son avenir est pourtant menacé... par les actuelles et délicates négociations menées au niveau de l'Union Européenne et de l'Organisation mondiale du Commerce. Celles-ci pourraient aboutir à la suppression des subsides européens actuellement accordés pour la production de sucre... et menacer la pérennité des cultures sucrières de l'Union Européenne.

POPERINGE, AU BOUT DES VOIES ?

La gare de Poperinge offre une autre particularité...

À la sortie de celle-ci, au-delà d'un passage à niveau, les voies ferrées sont réunies en un épi terminé par un butoir. Cette installation sert aujourd'hui à la manoeuvre de remise en tête des locomotives électriques des trains « P» d'heure de pointe Bruxelles - Poperinge, aujourd'hui dotés des toutes nouvelles voitures à deux niveaux de type « M6 ».

Ce butoir symboliserait-il le « bout des voies », le fait que Poperinge, la ville natale de l'astronaute belge, Dirk Frimout, est en fait située à une des extrémités du réseau de chemin de fer belge ?

Voire... au-delà du butoir, la plate-forme ferroviaire dépourvue de ses rails se prolonge... Il se fait que, au milieu du XIXe siècle déjà, la « Société anonyme des chemins de fer de Flandre-Occidentale » avait décidé de donner à la ligne de Poperinge un débouché vers la France toute proche et avait sollicité, auprès du gouvernement français du Second Empire, l'établissement d'un prolongement ferré, long d'une vingtaine de kilomètres, en direction du village frontalier français de Godewaersvelde et la ville de Hazebrouck... Oui, vous avez bien lu... voilà des toponymes flamands en France... dont l'explication est très simple : l'idiome originel du Nord de la France était bien le flamand, langue que le centralisme parisien a fait disparaître dans le courant du XIXe siècle au profit du français.

Bref, les vicissitudes de la situation internationale de l'époque - lorsque le gouvernement belge soupçonnait Napoléon III d'avoir des visées annexionnistes sur notre pays - firent que ce projet de ligne internationale ne put être mis à exécution qu'en 1870 : finalement, la liaison ferrée Poperinge - Abele - Hazebrouck n'entra en service que le 10 juin 1870, à quelques semaines du début d'un conflit franco-allemand de sinistre mémoire.

Cette liaison internationale « de proximité » fut dotée de deux gares frontalières - au bâtiment identique à double corps de logement, l'un pour le chef de gare, l'autre pour le receveur de la douane établies, côté belge à Abele et côté français à Godewaersvelde. En outre, la ligne offrit la particularité d'être exploitée de bout en bout par l'État belge, puis par la SNCB jusqu'en 1941 : ainsi, les locomotives à vapeur qui y étaient engagées provenaient-elles de la remise d'Ypres, aujourd'hui disparue.

Cette ligne eut son heure de gloire pendant la Première Guerre mondiale : à l'époque, Poperinge - tout comme Furnes - était la seule ville belge « libre », non occupée par l'Allemagne. Située derrière le réseau de tranchées disposé autour d'Ypres, le « leperboog » ou « saillant d'Ypres », la ville de Poperinge accueillit le siège du quartier général des troupes anglaises... Aussi, les services du génie militaire mirent-ils la ligne de chemin de fer Ypres - Poperinge - Hazebrouck à double voie pour permettre une liaison plus facile avec les troupes françaises alliées. C'est ainsi que notre ligne connut une intense activité jour et nuit, dans une guerre de tranchées où des centaines de milliers d'hommes durent donner leur vie pour arracher parfois... quelques dizaines de mètres de terrain à l'adversaire

Après la Première Guerre mondiale, une fois remise à simple voie, notre ligne retrouva sa calme activité traditionnelle de ligne d'intérêt local : quatre trains de voyageurs contractuels journaliers et omnibus, et un train de cabotage pour le trafic des marchandises.

Victime de l'essor des moyens de transport individuels... et aussi de barrières douanières dont nous n'avons plus idée aujourd'hui à l'époque de l'Europe et de l'effacement des frontières, le trafic des voyageurs disparut entre Poperinge et Hazebrouck dès 1950. Quant au trafic des marchandises, resté purement local, il disparut en 1971, victime de la concurrence de la route. Quelque temps après, toutes les installations ferroviaires disparurent dès la sortie de la gare de Poperinge.

Aujourd'hui, l'ancienne assiette de la voie a été transformée en une agréable promenade pédestre arborée, la « Quintens Wandeling ». Au-delà des limites communales de Poperinge, en direction de la frontière, le site ferroviaire a été englobé dans le bitume de la route Poperinge - Steenvoorde, baptisée comme il se doit « Frans-Vlaanderenweg ».

Nul doute que ce chemin transfrontalier, successeur de la ligne de chemin de fer, soit toujours hanté par les figures populaires de « Henri le Douanier » et son éternel rival « Karel de Blauwers » (Charles le Fraudeur), que la tradition populaire a immortalisés sous la forme de deux des quatre géants qui animent aujourd'hui encore le carnaval de Godewaersvelde.

Roland Marganne

« Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB novembre 2005

 

Appareil de chargement automatique des betteraves en gare de Poperinge

 

Les grands Express Européens de la compagnie internationale des wagons-lits sur le réseau belge

Dans Le Rail du mois de septembre 2004, nous avions évoqué les grands trains Pullman qui avaient sillonné la Belgique de 1927 à 1939. Aujourd'hui, nous abordons les trains de voitures-lits de «luxe» qui ont circulé sur le réseau national, plus particulièrement l'Ostende-Vienne Express et le Nord-Express.

Observons d'abord que la Compagnie internationale des Wagons-lits s'était déjà intéressée à la circulation d'un wagon-lits entre Bruxelles et Vienne dès 1876 et que le même wagon-lits Calais (correspondance du bateau de Douvres où prenaient place les voyageurs embarqués à Londres) figurait dans l'indicateur belge de 1887, départ de Calais à oh44, passage à Bruxelles-Nord à 6h05 (ce qui était bien matinal pour les Bruxellois!).

Entre-temps, la Compagnie (appelons-la ainsi pour la facilité) avait créé, en 1883, le premier train de luxe, composé entièrement de voitures-lits et d'une voiture-restaurant «Orient-Express», reliant Paris à Vienne dans un premier temps, prolongé ensuite vers Budapest, Belgrade, Sofia pour aboutir, en 1889, à Constantinople (actuelle Istanbul).

L'ambition de la Compagnie (qui, rappelons-le, avait été fondée par le Belge Nagelmackers) était, d'une part, de créer une branche de l'Orient-Express d'Ostende à Vienne et au-delà, et d'autre part, de faire circuler un train de luxe «Nord-Express» qui, jumelé avec son homologue «Sud-Express», aurait permis d'aller de Saint-Pétersbourg à Lisbonne sans changement de voitures-lits (enfin si l'on excepte les changements d'écartement) via la Belgique et Paris.

L’aventure de l’Ostende-Vienne Express

Les pourparlers entre la Compagnie et les réseaux étant entamés dès 1885, la création du nouveau train de luxe put avoir lieu dans les premières années de la dernière décennie du XIXe siècle sur l'itinéraire Ostende (correspondance de Douvres et Londres), Bruxelles-Cologne, Francfort-Vienne. L'indicateur de 1897 nous montre que la relation est bien ancrée: l'«Ostende-Vienne» dessert Bruxelles à 17h55 et arrive à Vienne à 16h30. Il comporte une voiture Ostende-Trieste (où elle correspond avec le navire du Lloyd Triestino vers Alexandrie), une autre voiture-lits prolongée le mercredi et le samedi vers Budapest, Bucarest et Constantza (où l'on peut embarquer pour Constantinople) et, en été, une branche spéciale détachée à Nuremberg vers Carlsbad (aujourd'hui Karlovy Vary). Telle fut la situation jusqu'au Zef août 1914. Le trafic reprit après la guerre mais par des voies détournées (via Luxembourg-Strasbourg-Carlsruhe-Nuremberg, ensuite au choix, vers Prague et Varsovie ou vers - Salzbourg-Vienne). Le train est mentionné comme tri-hebdomadaire dans l'indicateur de la Compagnie au le` novembre 1919 mais avec la remarque «sera mis en marche ultérieurement».

L'itinéraire «ancien» fut rétabli quotidiennement, en 1924, d'Ostende à Vienne (mais le train comportait aussi des voitures ordinaires de 1er et 2e classes). Deux ans plus tard environ, le «train de luxe» ressuscitait dans sa formule d'avant 1914 mais seulement trois fois par semaine. Il desservait Ostende-Bruxelles-Vienne-Budapest-Belgrade-Sofia-Istanbul (ex-Constantinople) où l'on pouvait traverser le Bosphore pour prendre, de l'autre côté, le train de wagons-lits Taurus-Express pour Ankara, Alep et au-delà.

Pendant les années de dépression économique (1931-1939), l'Ostende-Vienne continua sa course mais il fut fusionné avec le Nord-Express (voir plus loin) d'Ostende à Liège et accéléré (départ d'Ostende vers 19h30, heure d'hiver ou 20h30, heure d'été, arrivée à Vienne à 15h14). Il recevait à Cologne une voiture-lits Amsterdam-Vienne-Bucarest. En 1939, il vécut une ultime modification: il passa pendant quelques mois par Bratislava (nouvelle capitale de la Slovaquie) après le démantèlement de la Tchécoslovaquie par le IIIe Reich. Il disparut définitivement au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et sombra corps et biens.

La CIWL avait l'ambition de faire circuler un train de luxe «Nord-Express» qui, jumelé avec son homologue «Sud-Express», aurait permis d'aller de Saint-Pétersbourg à Lisbonne sans changement de voitures-lits via la Belgique et Paris.

 

La saga du Nors-Express

Les pourparlers furent plus laborieux: commencés en 1885, ils n'aboutirent qu'en 1896, soit après dix ans de conférences internationales assez agitées. Ce fut l'accord de Berlin, signé par la Compagnie et les réseaux le 4 mai 1896. Le train fut mis sur rails le 9 mai de la même année mais modestement car le convoi ne circulait qu'une fois par semaine (!) entre Ostende-Paris-Cologne-Berlin-Kônigsberg-Eydkunnen-Wirballen (frontière germano-russe) où il fallait changer de voiture (écartement russe) pour Saint-Pétersbourg. Il était toutefois précisé dans le contrat que la fréquence serait bihebdomadaire ou tri-hebdomadaire dès le 1er janvier 1897.

Voici la composition du train en 1896: deux wagons-lits et un wagon-restaurant d'Ostende à Eydtkunnen, deux wagons-lits et un fourgon fumoir de Paris à Eydtkunnen, fusionnés à partir de Liège. Dès le 1er juin 1897 (indicateur belge), le «Nord-Express» devenait quotidien entre Ostende et Berlin, prolongé deux fois par semaine vers Saint-Pétersbourg.

La branche parisienne devint aussi bi-hebdomadaire la même année, et finalement quotidienne le 1er juillet 1899. Toutefois, ce n'était pas un train de luxe entre Paris et Liège puisqu'à côté des wagons-lits, il comportait aussi des voitures ordinaires de première et deuxième classes. On ajouta également un wagon-lits «Ostende-Varsovie» ainsi qu'un autre «Paris-Varsovie», tous deux hebdomadaires. Enfin, il fut créé un train de luxe hebdomadaire «Varsovie-Moscou» (à l'écartement russe) donnant correspondance au «Nord-Express» à partir de janvier 1909. Telle fut, avec quelques modifications que nous ne détaillerons pas, la situation jusqu'au 31 juillet 1914 quand cette belle structure disparut dans la tourmente de la grande guerre.

Une fois l'armistice du 11 novembre 1918 signée, la renaissance du «Nord-Express» se fit attendre en raison des hostilités entre l'Union soviétique et l'Armée blanche, la Pologne et les Pays Baltes, lesquelles se prolongèrent jusqu'en 1919-1920, mais aussi à cause de l'occupation de la Rhénanie par les Alliés et de l'inflation vertigineuse en Allemagne en 1923-1924 (il fallait alors payer cinq milliards de marks pour un ticket de tramway à Berlin!). Ce n'est qu'à partir de 1926 que le train de luxe «Nord-Express» réapparut, au départ de Paris à 15h25 et d'Ostende à 16h10 (correspondance de Londres avec un départ à 10h) avec un sillon se rapprochant de celui d'avant la guerre. Les wagons-lits continuaient de Berlin vers Riga (Lettonie) quotidiennement et vers Varsovie trois fois par semaine. Vers 1927, une voiture-lit fut accrochée au «Calais-Bruxelles Pullman Express», accouplée au train principal à Bruxelles. Furent par la suite ajoutés des wagons-lits Paris-Hambourg (détachés à Hanovre) et Ostende-Bucarest via Berlin et Breslau.

La crise économique des années 1930 eut pour conséquence d'ouvrir ce train de «luxe» aux porteurs d'un billet de deuxième classe, les compartiments «single» étant réservés à la première tandis que les «doubles» étaient accessibles à la deuxième. Les horaires furent accélérés (départ d'Ostende à 19h32 ou 20h32, de Paris à 18h15 ou 19h15, selon que l'on soit à l'heure d'hiver ou d'été). L'histoire du glorieux «Nord-Express» se termina à l'aube du Zef septembre 1939 quand un certain Adolf Hitler profita de la signature du pacte de non-agression germano-soviétique pour envahir la Pologne sans déclaration de guerre, ce qui provoqua le deuxième conflit mondial.

Conclusion…Provisoire ?

En 1946, le nom «Nord-Express» retrouva sa place dans l'indicateur belge mais ce n'était plus le train de luxe d'antan, seulement un convoi comportant des wagons-lits et des voitures ordinaires des trois (puis deux) classes, plus tard des couchettes. Il était surtout orienté vers la Scandinavie mais on put lui ajouter des wagons-lits directs (construits par les Soviétiques) entre Paris/Ostende et Moscou: ces wagons-lits changeaient d'essieux à la frontière polono-russe. Un peu plus tard, ce fut le retour de l'«Ostende-Vienne Express» mais sa composition était tout aussi démocratique que son homologue de l'Europe du Nord: un wagon-lit, parfois deux. On imagina la formule des trains auto-couchettes qui connut un vif succès, puis les trains d'agences comme le «Freccia del Sol» ou le «France-Alp». Mais au début du XXI' siècle, la SNCB dut convenir que les trains de nuit n'étaient plus rentables. II ne circule plus aujourd'hui qu'un train de nuit Paris-Bruxelles-Berlin/Hambourg et un autre, le «Jan Kiepura» Bruxelles-Varsovie avec wagons-lits directs pour Moscou. L'ère des trains de luxe semble définitivement close avec l'apparition des TGV.

Et pourtant... Ne pourrait-on imaginer qu'un jour, des TGV de nuit relient des capitales fort éloignées l'une de l'autre? Ou qu'un TGV de wagons-lits n'emmène directement ses voyageurs de Saint-Pétersbourg à Lisbonne comme le rêvait le Belge Georges Nagelmackers?

 

Pierre Vankeer  « Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB juin 2005

Orient Express aux alentours de Constantinople. Le Belge Nagelmackers

 

Express Pétersbourg-Ostende  L'Express Ostende-Vienne pénétrant dans la salle d'attente de la gare de Francfort le 6 décembre 1901

Agatha Christie, son oeuvre

Et sa prédilection pour les crimes dans les trains

Agatha Christie (1890-1976) naquit Agatha Miller tout simplement, à Torquay, une ravissante petite cité balnéaire du Devonshire, ce qui ne la prédisposait pas à devenir un jour la reine du crime, la duchesse de la mort, comme la surnomment ses admirateurs. C'est cependant non loin de là que cette jeune femme découvrit, pendant la Grande Guerre, celui qui fut son modèle récurrent et discret, un réfugié belge au visage en forme d'oeuf et arborant de jolies moustaches. (En 1914-1918, beaucoup de Belges s'étaient réfugiés en Angleterre, notamment des fonctionnaires). Cet homme, fugitivement entrevu, devint le personnage principal de beaucoup de ses romans : elle l'appela Hercule Poirot (sans doute une réminiscence de son visage en forme d'oeuf ou de poire). Sous ce nom, inventé de toutes pièces, Agatha Christie imagina un détective belge et fier de l'être (il le répète sans cesse à ceux qui le prennent pour un Français), retraité de la Sûreté belge, très soucieux de son apparence, méticuleux jusqu'à l'extrême et faisant fonctionner, dès qu'une énigme policière l'intéresse, les «petites cellules grises» de son cerveau.

Agatha Christie aborda le roman policier avec La mystérieuse affaire de Styles, résolue bien entendu par Poirot, un livre écrit vers 1918 mais publié seulement en 1920 (il était difficile à l'époque de trouver un éditeur qui accepte une signature féminine).

Ce fut un très honnête succès qui l'incita à entreprendre une longue série dans le genre.

Deux événements marquèrent de manière indélébile l'année de ses 36 ans : d'une part, elle connut un triomphe avec Le meurtre de Roger Ackroyd où Poirot découvre que le coupable n'est autre que le narrateur et, d'autre part, elle disparut pendant dix jours et sa fugue (toujours inexpliquée à ce jour) mit en émoi tout le Royaume-Uni.

Disons encore qu'Agatha Christie trouva un nouveau personnage pour animer une autre série de romans policiers, Miss Marple, une dame assez âgée et distinguée qui n'avait pas son pareil pour résoudre les énigmes les plus mystérieuses. Un Poirot féminin en quelque sorte.

Mariée en 1920 à Archibald Christie, dont elle divorça quelques années plus tard, Agatha épousa, en secondes noces, un jeune archéologue, Max Mallowan, éminent spécialiste des antiques civilisations mésopotamiennes. Elle déclarait avec un humour très britannique : «C'est merveilleux d'épouser un archéologue, plus vous vieillissez, plus il s'intéresse à vous».

Nous n'allons pas détailler tous les ouvrages de la romancière : ses livres réédités en poche prennent deux colonnes entières du catalogue. Remarquons simplement que ses personnages font souvent usage du train pour leurs déplacements. Voici quatre titres où le décor ferroviaire est prééminent.

Agatha Christie est l'auteur de plus d'une centaine de
romans policiers, les uns avec Poirot, les autres avec
Miss Marple et quelques titres sans ses limiers préférés.

LE TRAIN BLEU (THE MYSTERY OF THE BLUE TRAIN)

Traduction française : 1932.

Un crime est commis dans le Train bleu (à l'époque officiellement dénommé Calais-Méditerranée Express), surnommé ainsi par ses usagers en raison de ses voitures-lits de couleur bleue créées en 1922. Poirot mène l'enquête et s'intéresse à un mystérieux voyageur qui a pris place clandestinement dans ledit train quand celui-ci cheminait à vitesse réduite sur la petite ceinture de Paris-Nord à Paris-gare de Lyon avec force ralentissements. Il disparaît ensuite tout aussi bizarrement. Encore faut-il l'identifier, prouver qu'il possède un mobile et qu'il a eu l'occasion de commettre son forfait. Se basant sur des déductions implacables, c'est un jeu d'enfant pour Poirot de démasquer le coupable.

LE CRIME DE L'ORIENT-EXPRESS (MURDER ON THE ORIENT-EXPRESS)

1933. Traduction française : 1934.

Hercule Poirot revient de Mésopotamie où il a résolu avec brio une mystérieuse affaire criminelle.

II emprunte le Taurus-Express d'Alep (Syrie) à Haïdar-Pacha (Turquie) où il traverse le Bosphore sur un ferry pour atteindre Istanbul. Pendant la courte traversée, il surprend une conversation étrange entre un homme et une femme qu'il retrouve à la gare d'Istanbul-Sirkedji au moment d'embarquer sur le Simplon-Orient-Express qui doit le conduire en Angleterre. Curieusement, en ces jours d'hiver où le train est généralement peu rempli, tous les compartiments sont occupés aussi bien en première (singles) qu'en deuxième classe (doubles). Heureusement, son ami, le directeur de la CIWL pour la Turquie, consent à remettre son voyage au lendemain et lui cède son «sleeping», sans quoi Poirot serait resté en gare. Tout de suite, le détective observe les différents voyageurs qui semblent ne pas se connaître, quoique... Durant la deuxième nuit du voyage, un Américain, Ratchett, décède dans d'étranges circonstances. II a été tué de douze coups de couteau et aucun voyageur ne semble avoir quitté la voiture-lit. Peu après la découverte, le train est bloqué par la neige quelque part en Yougoslavie. Poirot rassemble tous les voyageurs dans le wagon-restaurant pour les interroger et bientôt la vérité éclate. Mais notre détective comprend les raisons profondes de ce crime et ne dénonce pas les coupables aux autorités policières. II écrit dans son rapport que l'assassin est un inconnu qui est monté clandestinement dans le train et en est descendu avant que celui-ci ne soit coupé du monde par la neige.

Ce roman a fait, en 1975, l'objet d'un film très fidèle à la narration où Albert Finney composait un Hercule Poirot prodigieux.

ABC CONTRE POIROT (THE ABC MURDERS)

Traduction française, Le Masque : 1938.

Il faut savoir, avant tout, qu'en Grande-Bretagne, il existait, jusque dans les années 1960, deux types d'indicateurs de chemins de fer : le «Bradshaw» à peu près semblable au modèle européen et l'ABC donnant les heures de départ de Londres pour toutes les villes et localités du Royaume-Uni (en indiquant, le cas échéant, la gare où il fallait changer) et, au retour, les départs de ces mêmes endroits pour Londres. C'est précisément un ABC que l'on trouve sur les lieux des meurtres commis dans diverses cités britanniques éloignées les unes des autres. Aucun lien apparent ne rattache ces différentes affaires. Sauf qu'un certain Alexandre-Bonaparte Cust ( !) reçoit des lettres d'une prétendue firme commerciale l'invitant à visiter chacune de ces villes pour y écouler de la marchandise au moment où les crimes sont perpétrés. Tout semble le désigner comme coupable mais Poirot parvient à remonter jusqu'au vrai meurtrier. Il innocente le pauvre Alexandre-Bonaparte Cust qui n'était que le bouc émissaire de l'assassin.

LE TRAIN DE 16HSO (4.50 FROM PADDINGTON)

Traduction française : 1958.

Passons du côté de Miss Marple. Son amie écossaise doit lui rendre visite dans sa maison près de Milchester, dans l'ouest de l'Angleterre. Mrs Mac Gillicudy observe depuis son compartiment le passage d'un autre convoi (sur une section à quatre voies) à l'intérieur duquel elle surprend un individu étranglant une femme. Elle confie son témoignage au contrôleur qui, la prenant pour une hallucinée, lui répond qu'il va signaler l'incident à la gare suivante. Parvenue à destination, l'Écossaise se livre à Miss Marple qui exige du sergent («constable») de son patelin de procéder à une enquête par téléphone. La réponse est catégorique : aucun corps de femme n'a été retrouvé dans le train en question, ni sur la voie, ni aux alentours. Mais Miss Marple croit à la véracité du témoignage de son amie et entreprend, avec ordre et méthode, de découvrir la vérité.

Agatha Christie est l'auteur de plus d'une centaine de romans policiers, les uns avec Poirot, les autres avec Miss Marple et quelques titres sans ses limiers préférés. Elle est à la base d'une pièce de théâtre qui est jouée sans interruption depuis 1950 à Londres et qui a déjà usé deux ou trois générations de comédiens. La pièce s'intitule The Mousetrap (La Souricière) et le principe est le même que dans ses romans : un crime vient d'être commis, quel est le coupable parmi une dizaine de suspects ?

Si, à l'occasion d'un séjour londonien en Eurostar, vous parvenez à obtenir des tickets pour ce spectacle, vous ne serez pas déçu tant le suspense est subtilement dosé.

A ne pas manquer non plus, le récit autobiographique La romancière et l'archéologue, enfin traduit en français (Payot, 256 pages). Agatha Christie l'avait publié ... en 1946.

 

Pierre Vankeer

« Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB juillet 2005

 

 

Der zug kommt

Saint-Vith et le chemin de fer

Sous le nom Der Zug kommt (le train arrive), le cercle historique Zwischen Venn und Schneifel de Saint-Vith a inauguré, le 21 mai dernier, une exposition permanente consacrée à l'histoire du chemin de fer dans l'Eifel belge. Cette rétrospective - réalisée dans le cadre du Musée d'histoire régionale - a l'originalité d'être abritée dans la « maison du piqueur » de Saint-Vith, qui fit office de bâtiment de gare SNCB de 1945 à 1982. Elle commémore les cent années de présence du rail dans cette région qui changea trois fois de nationalité au cours du XXe siècle. La cheville ouvrière de cette manifestation est un cheminot retraité très connu dans la région : Monsieur Gottfried Sarlette, de Wévercé, ancien chef de gare de Sourbrodt, puis chef de zone à Herbesthal et à ce titre responsable des installations ferroviaires de la Communauté Germanophone. II a eu l'immense mérite de sauvegarder au fil de sa carrière les témoignages du passé ferroviaire des cantons de l'Est et d'en permettre aujourd'hui l'exposition permanente.

Il y a vingt-trois ans déjà, le 23 septembre 1982, le dernier train de marchandises arrivait en gare de Saint-Vith. Il venait de Gouvy et transportait - via Trois-Ponts et Waimes - douze wagons d'engrais pour un client allemand de la région de Bitburg. Ce train mettait un point final à 95 ans de présence du chemin de fer dans le sud des cantons de l'Est. C'est en effet un siècle plus tôt, le 22 novembre 1887, que le premier train arrivait à Saint-Vith.

La vennbahn, une création de l’empire fédéral allemand

La présence du chemin de fer à Saint-Vith est le résultat de la volonté de l'empire fédéral allemand - le IIe Reich créé en 1871 sous l'impulsion du chancelier Otto von Bismarck - d'équiper toutes les régions économiquement faibles de l'Allemagne en voies ferrées. En outre, ne cachons pas l'intérêt des responsables militaires pour les régions frontalières. Faut-il rappeler que les dispositions du Congrès de Vienne de 1815 avaient attribué à la Prusse toute la région, aujourd'hui belge, des « cantons de l'Est », d'Eupen à Saint-Vith en passant par Malmédy ? ...

Bref, c'est la création de la ligne de chemin de fer de l'Eifel Cologne - Trèves en 1870 et, plus précisément, d'une antenne de celle-ci entre Prüm et Gerolstein en 1883, qui donna l'occasion aux autorités de Saint-Vith de demander le prolongement de la voie ferrée vers Bleialf et Saint-Vith. Elles furent entendues à Berlin : la loi prussienne du 15 mai 1882 ordonna la création d'une ligne de chemin de fer entre Prüm, Saint-Vith et Aix-la-Chapelle avec trois bifurcations à créer vers Malmédy, Eupen et Stolberg. La Vennbahn était née, ligne ainsi baptisée parce qu'elle traverse de nombreuses zones de marécages (Venu en allemand) dans les Hautes-Fagnes.

La Vennbahn fut finalement ouverte de bout en bout d'Aix-la-Chapelle à Gerolstein en 1888, l'année même de l'avènement du Kaiser Guillaume II en Allemagne. C'était une Nebenbahn de construction légère, à simple voie, avec ballast en cendrées, où la vitesse des trains de voyageurs ne devait pas dépasser les 30 km/h : aussi fallait-il quatre heures pour parcourir les 91 km du trajet Saint-Vith - Aix-la-Chapelle dans des trains à vapeur lents, mal éclairés et mal chauffés. Mais qui donc - à une époque où le concept de mobilité n'existait pas - pouvait bien se payer un billet de chemin de fer, sinon les voyageurs de commerce, les fonctionnaires... ou les militaires ? Aussi, deux trains de voyageurs journaliers étaient-ils suffisants pour transporter cette petite clientèle, qui avait le choix entre des voitures de 1ère 2 e et 3 e classe...

La loi prussienne du 15 mai 1882 ordonna la création d'une ligne de chemin
de fer entre Prüm, Saint-Vith et Aix-la-Chapelle avec trois bifurcations
à créer vers Malmédy, Eupen et Stolberg : la Vennbahn était née !

L’age d’or de la vennbahn

Tout changea à Saint-Vith le jour où fut mise en service la ligne reliant Lommersweiler, une gare de la Vennbahn, à quelques kilomètres au sud de Saint-Vith, Reuland et Trois-vierges, au grand-duché de Luxembourg. Dès 1889 et grâce à elle, la Vennbahn était reliée à la ligne de chemin de fer luxembourgeoise « du Nord » Trois-vierges - Ettelbruck - Luxembourg, ouverte vingt ans plus tôt.

Du jour au lendemain, la Vennbahn se retrouva artère de transit entre les grands centres industriels allemands, luxembourgeois et lorrains. Car, le grand-duché, bien qu'État souverain, était lié à l'Empire allemand par le Zollverein, cette union économique et douanière dominée par la Prusse, et qui fut à l'origine de la prospérité allemande. Dans ce cadre, la Vennbahn profita d'un nouveau courant de trafic : quarante trains de marchandises quotidiens et directs relièrent désormais le bassin charbonnier et sidérurgique de la Ruhr et de la région d'Aix-la-Chapelle et les mines de fer du bassin de Briey en Lorraine. Dans le sens sud-nord, ces trains transportaient de la minette (ainsi nommait-on le minerai de fer lorrain que l'on venait de découvrir), et dans le sens nord-sud le coke nécessaire à l'approvisionnement des hauts-fourneaux luxembourgeois de la vallée de l'Alzette.

La Vennbahn était l'itinéraire ferroviaire le plus court entre ces centres industriels.

Pour supporter un tel trafic, la Vennbahn passa du statut de Nebenbahn à celui de ligne principale. Aussi, on augmenta la vitesse des trains de 40 à 50 km/h, puis on décida de porter la Vennbahn à double voie. II fallut élargir l'assiette de la voie, adapter les ouvrages d'art, voire en créer de nouveaux : ainsi, le tunnel de Lommersweiler - que l'on peut encore voir aujourd'hui - fut dédoublé dès 1908, comme l'indique l'inscription sur le fronton en pierre. Par contre, la ligne Lommersweiler - Reuland - Lengeler - Trois-vierges resta à simple voie : il faut dire que son tracé s'apparentait à celui d'une ligne de montagne avec le tunnel d'Elcherath, devenu un refuge protégé pour les chauves-souris, le viaduc sur l'Our, aujourd'hui en ruines, qui le prolongeait, et la multitude de déblais, remblais et ouvrages d'art qui permettaient à la ligne de remonter le cours de la rivière Ulf jusqu'à Trois-vierges, sans compter le long tunnel frontalier belgoluxembourgeois de Lengeler.

La Belle Époque (1900-1914) fut ainsi l'âge d'or de la Vennbahn : on pouvait, cinq fois par jour, prendre le train à Saint-Vith pour Aix-la-Chapelle, Gerolstein ou Trois-vierges. On vit apparaître de nouveaux voyageurs : des hommes d'affaires se rendant au grand-duché (déjà...), mais aussi des étudiants attirés par la réputation de l'École technique supérieure d'Aix-la-Chapelle. De son côté, le bureau de la Poste impériale de Saint-Vith chargeait tout le courrier de la région et les colis dans des « ambulants postaux », ces wagons spéciaux accrochés le plus souvent aux trains de voyageurs. Ils étaient munis d'une boîte aux lettres où l'on pouvait poster son courrier urgent au passage de l'ambulant postal : l'envoi était alors revêtu d'un cachet postal spécial indiquant non pas le nom de la localité... mais le trajet de l'ambulant postal : c'est un type de cachet aujourd'hui très recherché par les philatélistes.

Évidemment, la gare de Saint-Vith fut agrandie pour recevoir tout ce trafic : elle fut dotée d'une remise à locomotives en forme de rotonde, qui abrita jusqu'à quarante locomotives à vapeur, d'un atelier de réparation de wagons et de nombreuses voies pour permettre le traitement des mille wagons qui y passaient chaque jour.

Quant à la ville de Saint-Vith elle-même, elle profita largement de la présence du chemin de fer. Sa population passa du simple au double au cours du XIX' siècle pour arriver à un total de 2 740 habitants en 1917. Nul doute que cet accroissement est dû en partie à l'engagement de centaines de cheminots à la gare, mais aussi au développement de l'agriculture, du commerce et de l'industrie du bois, lié à l'essor du noeud ferroviaire de Saint-Vith : ainsi, la gare recevait-elle des wagons d'engrais, de fourrage, de semences et de charbon. Elle expédiait des wagons de bois en grumes et du bétail vivant.

Les lignes de guerre dans la région de Saint-Vith

Mais le développement du trafic du chemin de fer à Saint-Vith n'allait pas s'arrêter là... Les intentions guerrières de Guillaume II allaient donner un autre développement au rail. Le projet prussien d'envahir la France en passant par la Belgique, pourtant neutre à l'époque, nécessita l'équipement de la région de Saint-Vith en lignes de chemin de fer orientées non plus seulement nord-sud, mais aussi est-ouest.

Ainsi, une ligne nouvelle et internationale entre Jünkerath en Allemagne et Stavelot en Belgique, via Wévercé et Malmédy, fut-elle ouverte au trafic en 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale. C'était une ligne au cahier de charges nouveau : double voie, profil aisé, absence de passages à niveau et de croisement avec d'autres lignes existantes... En outre, pendant la guerre 1914-1918, le réseau de chemin de fer de la région de Saint-Vith fut complété par deux autres lignes reliant la Vennbahn à l'axe Liège - Trois-Ponts - Luxembourg : la ligne Born - Recht - Vielsalm, pour laquelle fut construit l'audacieux viaduc von Korff qui enjambe encore aujourd'hui la vallée de l'Emmels à Born et la ligne Saint-Vith - Beho - Gouvy, avec ses non moins audacieux viaducs aujourd'hui disparus de Wiesenbach et Maïlust. Cette dernière ligne ne manquait pas d'ambition : elle reliait la vallée du Rhin au front de Verdun en passant par Remagen, Gerolstein, Saint-Vith, Gouvy, Bastogne, Libramont, Bertrix, Muno et Carignan en France. Elle dédoublait ainsi l'axe ferroviaire jusqu'alors traditionnel par Coblence, la vallée de la Moselle, Trèves, Luxembourg et Thionville. La ligne Saint-Vith - Gouvy fut ouverte au trafic militaire prussien au début de l'année 1918 : imaginons combien de trains de troupes, de permissionnaires, de munitions et d'équipement militaire elle vit passer...

L'état-major prussien avait même prévu de construire une troisième ligne militaire dans la région : partant de Saint-Vith, elle devait remonter le cours de l'Our par Schônberg et Manderfeld jusqu'à Losheim, afin de rejoindre l'axe Trois-Ponts - Jünkerath. Bien que les plans définitifs de cette ligne aient été dressés en 1917, elle ne connut pas de début d'exécution, sans doute à la suite de la défaite prussienne de 1918. Mais ne dit-on pas que l'on peut encore découvrir aujourd'hui à Schônberg ou à Manderfeld l'un ou l'autre bâtiment de style ferroviaire, construit dans la perspective de cette ligne.

La Vennbahn et le traité de Versailles

Après la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles de 1919 prescrivit le rattachement des anciens « kreis » d'Eupen et de Malmédy à la Belgique, de même que l'ancien territoire neutre de Moresnet. Dans ce cadre, la Vennbahn fit l'objet d'une disposition spéciale : l'assiette de la voie fut déclarée « territoire belge » même aux endroits où elle traversait le territoire allemand, entre Raeren, Montjoie et Kalterherberg.

Mais le rattachement des cantons de l'Est à la Belgique eut d'autres conséquences plus cocasses dans la région : ainsi, la gare devenue belge de Steinebrück, au bord de l'Our, se retrouva-t-elle du jour au lendemain station frontalière, avec des problèmes insurmontables pour les habitants des villages voisins restés allemands d'lhren et Urb qui ne pouvaient plus l'utiliser sans se soumettre aux tracasseries douanières au passage de la nouvelle frontière. Aussi, la Deutsche Reichsbahn dut-elle se résoudre à créer une nouvelle gare de toutes pièces à Ihren, en territoire allemand.

L'attribution des cantons de l'Est à la Belgique eut, par contre, de graves répercussions pour l'avenir de la Vennbahn : si le trafic des voyageurs de l'époque prussienne fut globalement maintenu par le Chemin de fer de l'État belge, puis la SNCB, le trafic des produits sidérurgiques entre l'Allemagne et le grand-duché de Luxembourg disparut progressivement : il fut détourné soit par la ligne de la Moselle et Coblence en Allemagne, soit par Montzen, Liège, la ligne de l'Amblève et Gouvy, deux lignes jugées mieux équipées. Certes, outre le trafic généré par les réparations de guerre dues par l'Allemagne vaincue à la Belgique, les trains locaux des marchandises continuaient à circuler dans la région à une époque où les camions n'existaient pas encore et où l'état du réseau routier était lamentable : le chemin de fer restait, pour les entreprises et les commerçants de Saint-Vith comme d'ailleurs, le seul moyen de transport efficace pour recevoir et expédier leurs produits.

La seconde guerre mondiale, ses destructions et conséquences

Mais d'inquiétants bruits de botte se firent bientôt entendre à l'est. Dès 1935, les échanges ferroviaires avec l'Allemagne furent gênés par la politique agressive d'Adolf Hitler et des Nazis. Les anciens ne se souviennent-ils pas de soldats allemands menaçants, postés tous les dix mètres le long de la partie de la Vennbahn qui traversait le territoire allemand entre Raeren et Kalterherberg, afin de protéger le Ille Reich contre Dieu sait quelle menace...

Puis ce fut la sombre époque du second conflit mondial, lorsque Adolf Hitler, par ses ordonnances félonnes du 18 mai 1940, annexa les cantons de l'Est et quelques autres communes belges à l'Allemagne nazie, mettant la main, par la même occasion, sur le réseau ferré et obligeant les cheminots locaux, soit à porter l'uniforme de la Deutsche Reichsbahn, tout en prêtant serment de fidélité au Fürher, soit à... entrer dans la clandestinité. Quant aux habitants de Saint-Vith, ils changèrent par force de nationalité... et se retrouvèrent malgré eux citoyens du Ille Reich jusqu'à la libération avec les conséquences que l'on devine - la plus cruelle étant l'enrôlement des jeunes gens dans la Wehrmacht et leur envoi sur un front de l'Est dont ils ne devaient pas revenir...

La contre-offensive de von Rundstedt – le dernier coup de dés d'Hitler pour inverser le cours de la guerre – qui ravagea notre Ardenne pendant l'hiver 1944-1945, porta un coup fatal à la Vennbahn dans la région de Saint-Vith. Les bombardements détruisirent le bâtiment de gare, de même que la remise à locomotives et d'autres bâtiments, ne laissant debout que la « maison du piqueur » – on dirait aujourd'hui « contremaître de la voie » - un bâtiment de service où est installé actuellement le musée d'histoire régionale. Quant aux lignes Born – Vielsalm, Saint-Vith – Gouvy et Lommersweiler – Trois Vierges, elles subirent des dégâts tellement importants qu'elles ne furent jamais rétablies de bout en bout après 1945.

Aussi la gare de Saint-Vith ou ce qu'il en restait – devint un cul-de-sac ferroviaire, puisqu'elle ne pouvait plus être atteinte directement que par les trains venant de Waimes. Pour aller en train à Gouvy, et y prendre l'express pour Liège, il fallait se rendre à quelques centaines de mètres de la gare de Saint-Vith, à Wiesenbach, où un point d'arrêt sommaire avait été établi pour les rares autorails qui faisaient encore la navette entre Lommersweiler et Gouvy. Bref, le coeur n'y était plus... Le dernier train de voyageurs régulier quitta Saint-Vith pour Waimes il y a cinquante et un ans déjà, le 1P'juin 1954, laissant place à une desserte par autobus.

Mais la ligne Waimes – Saint-Vith rendit encore des services aux entreprises locales jusqu'en 1982. Ainsi, la scierie Pauwels de Saint-Vith fut un des derniers clients du chemin de fer pour évacuer ses copeaux de bois par wagons tombereaux. Quant aux agriculteurs... on rappellera que le bourgmestre de Schônberg, commune aujourd'hui fusionnée avec Saint-Vith, organisa, pendant la grande sécheresse de l'année 1976, un train complet de paille venant du Tournaisis à destination de Saint-Vith, afin de nourrir un bétail affamé par des prairies dont l'herbe était roussie par le soleil. C'est ainsi que l'on assista, sur la cour à marchandises de Saint-Vith, à une singulière animation à l'arrivée du train : une multitude de tracteurs et de remorques agricoles qui venaient prendre en charge cette paille providentielle.

Finalement, en 1982... La concurrence de la route fut fatale au rail à Saint-Vith : la desserte ferroviaire y fut totalement supprimée et les voies furent arrachées.

C'est le mérite de l'exposition Der Zug kommt de ressusciter cette partie si attachante de l'histoire locale de cette région, par des textes, des photos et autres objets ferroviaires du passé (plans de voies, cachets, képis, lanternes de queue, téléphones de block... mais aussi maquettes animées reconstituant les gares de Saint-Vith, Lommersweiler et Steinebrück au temps de leur activité). Elle rend aussi hommage aux habitants de Saint-Vith qui ont consacré leur vie professionnelle au rail : les hommes bien sûr... et parfois leurs épouses, qui, au chemin de fer, ne pouvaient occuper qu'une seule fonction, le poste de garde-barrière des nombreux passages à niveau qui jalonnaient la Vennbahn. Cette activité procurait à la garde-barrière et à sa famille un logement gratuit dans la maisonnette attenante.

Auteur : Roland Marganne

« Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB août 2005

Musée « Zwischen Venn und Schneifel »,

Schwarzer Weg, 6

4780 Saint-Vith.

Tél. : 080/ 22 92 09.

Ouvert du lundi au jeudi de 13 à 17h,

Le vendredi de 13 à 16 h,

Le samedi de 14 à 16h et le dimanche de 14 à 17 h.

Gare de Saint-Vith

 

Viaduc de Born Steinebrück : frontière belgo-allemande après le traité de Versailles de 1919