La page  B.

Mise à jour : 03/07/2008 18:34:54

Baarle-Duc – Baarle-Nassau

Brève histoire des trains Pullman

La ligne du Luxembourg est en fête !

Baarle-Duc – Baarle-Nassau

UNE GARE INTERNATIONALE OUBLIÉE

UN VI LLAGE BELGE ENCLAVÉ AUX PAYS - BAS

Les lecteurs d'Astérix s'en souviendront : au temps des Romains, les Gaulois auraient gardé un village d'irréductibles, une sorte d'enclave farouchement indépendante au beau milieu d'une contrée soumise à la «Pax Romana».

Savez-vous que cette agréable fiction de bande dessinée, qui a enchanté des générations d'enfants... et d'adultes, a un fond de vérité chez nous ? Aujourd'hui, la Belgique dispose, elle aussi, de son village «enclavé». A défaut de Belges irréductibles, les habitants de la commune belge de Baarle-Duc (Baarle-Hertog en néerlandais), au nord de Turnhout, dans la province d'Anvers, vivent sur une sorte de «puzzle» international le village de Baarle est en fait divisé en deux communes, la belge, Baarle-Duc, et la néerlandaise, Baarle-Nassau, intimement imbriquées l'une dans l'autre en quelque trente enclaves. Ce mariage est si étroit que la frontière politique, à Baarle, court au travers des quartiers, des rues... et même des maisons.

UN PEU D'HISTOIRE

Cette stupéfiante situation est une survivance millénaire du morcellement des territoires, typique de l'époque féodale : à Baarle, les terres ont été partagées en 1198 - sans aucun souci d'homogénéité - entre le Duc de Brabant (d'où Baarle-Duc tient son nom) et son vassal, le seigneur de Breda (dont un des descendants n'était autre que Guillaume de Nassau, mieux connu sous le vocable «Guillaume le Taciturne»). Par les vicissitudes de l'histoire, le Duché de Brabant et la Seigneurie de Breda ont été par la suite définitivement séparés et placés sous des autorités différentes. Aucun traité international n'est venu à bout de cette situation: arrêtée par le Traité de Munster de 1648, cette partition survécut à la tendance à la concentration des états modernes au XlXe siècle et à la restructuration de l'Europe issue du Congrès de Vienne de 1815. Lors de la séparation des Pays-Bas et de la Belgique après la Révolution de 1830, les deux parties ne parvinrent pas non plus à se mettre d'accord sur un tracé rationnel de la frontière à Baarle: le Traité des Limites du 8 août 1843 laissa la situation «historique» telle quelle afin de ne pas transférer la population locale d'un État à l'autre: les habitants belges de Baarle-Duc y tenaient d'autant plus qu'ils avaient pris une part active dans les événements de 1830 et avaient soutenu tes velléités d'indépendance de la Belgique.

Finalement, à l'aube du XXIe siècle, et malgré une dizaine de tentatives de règlement de ce problème, la commune belge de Baarle-Duc, qui compte quelque deux mille habitants, se compose de... vingt-cinq parties, dont vingt et une constituent des enclaves dans le territoire néerlandais de Baarle-Nassau (5 800 habitants), tandis que les quatre autres sont situées du côté belge de la frontière, quoique séparées les unes des autres.

Bref, les habitants belges et néerlandais de Baarle ont appris depuis longtemps à vivre ensemble: à Baarle, il y a deux maisons communales, deux églises catholiques, la néerlandaise dédiée à Notre-Dame du Perpétuel Secours, avec sa tour carrée, et la belge, avec son clocher à bulbe, dédiée à Saint-Rémy. Il y a aussi deux écoles primaires, deux bibliothèques publiques... Quant à la frontière, elle est matérialisée par un marquage au sol. Il n'est pas rare qu'elle traverse de part en part une habitation : c'est alors l'emplacement de la porte d'entrée principale qui en détermine la nationalité, comme l'indique d'ailleurs le petit drapeau que porte la plaque indiquant le numéro de la maison. Ces immeubles « transfrontaliers » ont par ailleurs fait les belles heures des fraudeurs de devises et autres marchandises... et des officiers publics : qui ne connaît pas la situation particulière du café «'tHoekske» à Baarle, dont la salle est traversée par la frontière, et où on voit de temps à autre deux notaires, un belge et un néerlandais, prendre place pour passer un acte, chacun d'un côté d'une table chevauchant la frontière : ils peuvent ainsi agir de concert, tout en instrumentant chacun sur le sol de son pays, ainsi que la loi l'impose...

Heureusement, la bonne entente actuelle entre la Belgique et les Pays-Bas et l'intégration européenne ont aplani beaucoup de problèmes à Baarle, mais le commerce local reste florissant : chaque magasin, selon le pays où il se trouve, valorise ses articles les moins chers grâce à la différence des taux de TVA : ne dit-on pas que l'une ou l'autre supérette a même aménagé deux entrées, l'une aux Pays-Bas, l'autre en Belgique, afin d'exploiter la situation au mieux des intérêts de ses clients. Le secteur bancaire profite lui aussi des différences de législation... Bref, les situations excentriques sont légion... un régal pour les juristes un peu pointus.

Dès 1850, une liaison ferrée avait été projetée entre Turnhout et Tilburg afin de relier les bassins houillers wallons de l'époque et le sud des Pays-Bas.

 

BAARLE ET LE CHEMIN DE FER

Mais revenons au chemin de fer, car les habitants de Baarle voulurent, au XIXC siècle, disposer d'une voie de chemin de fer comme tout autre village belge ou néerlandais soucieux de son développement, à une époque où le transport individuel n'existait pas.

Dès 1850, une liaison ferrée avait été projetée entre Turnhout et Tilburg afin de relier les bassins houillers wallons de l'époque et le sud des Pays-Bas. L'occasion se présenta finalement en 1864, lorsqu'une compagnie privée, le «chemin de fer du Nord de la Belgique», obtint la concession d'une ligne de chemin de fer Turnhout - Tilburg. Ce projet fut bien vite englobé dans le «Grand Central Belge», un vaste ensemble ferroviaire créé en 1864, qui finit par disposer d'une vraie ligne internationale reliant les chemins de fer hollandais et les ports de Rotterdam et d'Anvers aux chemins de fer de l'Est français par Louvain, Charleroi, Givet ou Treignes - Vireux-Molhain.

«HET BELS LIJNTJE»

C'est dans ce cadre que la section de ligne Turnhout - Baarle - Tilburg, longue de 31 kilomètres dont 8 en Belgique, fut ouverte au trafic le 1et octobre 1867. Comme elle était exploitée par le «Grand Central Belge», qui n'avait pas de dénomination officielle en flamand à l'époque, les gens baptisèrent la ligne par déformation «Bels Lijntje». Au début, les trois trains de voyageurs journaliers transportaient bien peu de monde: le village jumeau de Baarle-Duc Baarle-Nassau était desservi par la gare de Weelde-Merksplas, située en Belgique juste avant le premier passage de la voie en territoire néerlandais et par la gare de Baarle-Nassau située, elle, aux Pays-Bas : les deux bâtiments que le Grand Central Belge y avait fait construire étaient jumeaux... Pour les marchandises, notre ligne achemina dès ses origines les charbons du Borinage pour les usines textiles de Tilburg. Mais les cheminots s'aperçurent bien vite que notre ligne constituait un maillon de l'itinéraire le plus court entre Bruxelles et Amsterdam, plus court que l'autre ligne par Essen et Roosendaal. Dès 1870, donc, des trains de voyageurs directs journaliers Bruxelles - Utrecht furent mis en ligne par Turnhout, Baarle et Tilburg.

La ligne Turnhout - Baarle - Tilburg n'échappa pas au processus de reprise des lignes ferrées par les États nationaux, préoccupés à l'époque de leur indépendance : le 1` juillet 1898, le parcours belge était repris par les chemins de fer de l'État Belge, et le néerlandais par son équivalent batave, la Maatschapij tot Exploitatie van de Staatsspoorwegen. C'est alors que les deux compagnies se mirent d'accord pour organiser un trafic de grande ampleur sur la ligne Turnhout - Tilburg afin de décharger la ligne internationale passant par Essen et Roosendaal, jugée saturée. De plus, on avait calculé qu'une relation ferroviaire Anvers - Amsterdam par Turnhout, Tilburg, 's Hertogenbosch et Utrecht serait plus courte que l'itinéraire par Roosendaal. On décida donc de créer de nouvelles installations frontalières entre Turnhout et Tilburg, tout en gardant la section de ligne à voie unique.

WEELDE-STAAT - BAARLE-NASSAU-GRENS

Conformément aux accords de 1898, il fut convenu que les installations de la gare frontalière belge de Weelde-Merksplas et de son homologue néerlandaise de Baarle-Nassau ne correspondaient plus au trafic espéré. Les Hollandais se chargèrent de la création d'une nouvelle gare frontalière, à l'extrême sud du territoire de la commune de Baarle-Nassau, loin de toute habitation et à l'endroit où la ligne ferrée, qui traversait fatalement les enclaves, passait pour la première fois la frontière belgo néerlandaise : un immense site de 40 ha - 17 aux Pays-Bas, 23 en Belgique -, jusqu'alors désert, fut désigné.

Construit selon les plans de l'ingénieur néerlandais, G. W. van Heukelom, le bâtiment de gare de « Baarle-Nassau-grens » allait être un monument d'originalité. II était construit en îlot, avec voies à quai de part et d'autre de celui-ci... et à cheval sur la frontière. Aussi, chacun des deux quais, protégé par une marquise, disposait d'une zone belge et d'une néerlandaise, chacune sur son territoire national. La gare portait deux dénominations, une par nationalité : la partie belge allait porter le nom de «Weelde-Staat» - très vite déformé par la population locale en «Weelde-Statie» - tandis que la partie néerlandaise fut dénommée «Baarle-Nassau-grens».

L'imposant bâtiment, inauguré le 1" octobre 1906 et situé à quelques centaines de mètres au nord des anciennes installations belges de VVeelde-Merksplas, était de dimensions imposantes : 167 m de long, un niveau et demi, avec bureaux, salles d'attente, buffet, salle des guichets... dédoublée, puisqu'on pouvait acheter son billet soit en francs belges, soit en florins, et surtout gigantesques installations pour la douane avec salle de visite, zone de quarantaine, 350 mètres de quais couverts et des entrepôts douaniers longs de 150 mètres. En gare, le tracé de la frontière était matérialisé au sol par des pavés de couleur courant à travers quais et voies. Côté installations ferroviaires, on avait prévu un faisceau de 22 km de voies, avec une centaine d'aiguillages et trois cabines de signalisation. Coté néerlandais, il y avait même une remise à locomotives, avec rotonde et plaque tournante.

La procédure de passage de la frontière pour les voyageurs ne manquait pas de pittoresque. Ainsi, un train venant de Belgique devait marquer l'arrêt dans la zone belge du quai, et les voyageurs en descendre afin de passer par la salle de visite des bagages de la douane. Ils passaient ainsi la frontière à pied, tandis que la douane fouillait le train... vide. Le train s'avançait ensuite en zone néerlandaise, pour permettre l'embarquement des voyageurs « dédouanés ».

Cette gare commune belgo néerlandaise comportait d'autres bizarreries. Ainsi, l'heure légale n'était pas la même en Belgique et aux Pays-Bas : les variations étaient parfois de l'ordre du quart d'heure, voire de la demi-heure ; il n'était donc pas rare qu'un train arrive en gare belge de Weelde-Staat pour repartir... une demi-heure plus tôt de la gare néerlandaise de Baarle-Nassau-grens, une fois les formalités douanières accomplies : chaque « demi-gare » disposait donc de « ses » pendules nationales, avec les quiproquos que l'on devine... Quant aux cheminots... il y avait deux chefs de gare, un belge et un néerlandais et des agents des deux administrations, disposant de règlements différents... Et tout le monde devait s'entendre...

Jusqu'à la Première Guerre mondiale, il y eut des trains directs Turnhout - Tilburg. Mais, à partir du Zef octobre 1906, les trains durent changer de locomotive à Baarle-Nassaugrens : une locomotive État Belge sur parcours belge, une néerlandaise au-delà. En 1912, la mise en ligne de trois paires de trains directs Bruxelles - Amsterdam via Turnhout et Tilburg, avec arrêt à Baarle-Nassau-grens montra la pertinence de l'accord international de 1898: le temps de parcours total était de quatre heures, contre quatre heures et demie pour l'itinéraire via Roosendaal.

Quant à notre gare commune de Weelde-Staat - Baarle-Nassau-grens, construite au beau milieu des bruyères, elle attira rapidement de nouvelles activités : on construisit dans ses environs immédiats des maisons d'habitation pour cheminots et douaniers, des commerces, une école, et même une église : en fait, comme souvent, le chemin de fer avait induit la naissance d'un nouveau hameau.

La Première Guerre mondiale provoqua un coup d'arrêt - qui allait s'avérer définitif - à l'expansion des installations ferroviaires de Baarle... Vu leur politique de stricte neutralité, les Pays-Bas ne participèrent pas au conflit : tout trafic voyageurs et marchandises fut alors suspendu par Baarle-Nassau-grens. Bien plus, les Allemands, qui occupaient la quasi totalité de la Belgique, édifièrent une clôture de fils barbelés... électrifiés au beau milieu du site de la gare, pour éviter tout mouvement de population entre la Belgique occupée et les enclaves belges de Baarle-Duc. Ces dernières avaient en effet échappé à toute occupation prussienne, rendue juridiquement impossible, car les soldats ennemis auraient alors été obligés de transiter par le territoire neutre des Pays-Bas.... Les citoyens de Baarle-Duc devinrent ainsi des «Belges irréductibles», arborant le drapeau national à toute occasion pour narguer les Prussiens. Quant au bourgmestre belge, résidant dans les enclaves, il avait fait installer un des premiers émetteurs-récepteurs radio, afin d'espionner les Allemands. On sait que celui-ci gêna fortement les communications de l'Etat-major allemand avec ses sous-marins et autres zeppelins. Quant aux bâtiments de gare de Weelde-Baarle-Nassau, ils servirent de cantonnement à l'armée néerlandaise et de centre pour réfugiés belges.

Après la Première Guerre mondiale, les projets de 1898 de faire transiter un trafic international à «Baarle-Nassaugrens» ne se concrétisèrent plus : une grave crise économique, consécutive à la guerre, réduisit les échanges, et la ligne par Essen et Roosendaal suffit à écouler le trafic marchandises subsistant. De plus, les relations politiques entre la Belgique et les Pays-Bas s'étaient singulièrement refroidies : la Belgique victorieuse avait en effet revendiqué l'annexion de la Zélande et du Limbourg néerlandais lors des travaux préparatoires au traité de Versailles, arguant de son statut de nation combattante face aux Pays-Bas, restés neutres.

Après la Première Guerre mondiale, la relation ferroviaire Turnhout-Tilburg déclina au point qu'en 1934, le trafic voyageur fut supprimé et remplacé par un des premiers services d'autobus de substitution.

Certes, en 1930, des trains directs furent rétablis entre Eindhoven et Bruxelles via Baarle... mais l'essai fut sans lendemain en ces temps incertains.

Bref, la relation ferroviaire Turnhout - Tilburg végéta à un tel point que tout trafic voyageur y fut supprimé, côté belge et néerlandais dès le 7 octobre 1934, et remplacé par un des premiers services d'autobus de substitution que connut la Belgique.

Toutefois, quelques trains spéciaux de pèlerinage continuèrent à passer sur la ligne via Baarle-Nassau-grens, notamment des convois organisés au départ de Tilburg vers le centre de pèlerinage marial de Scherpenheuvel (Montaigu). II y eut aussi l'un ou l'autre train de supporters de football néerlandais venus soutenir leur équipe nationale au stade de Deurne lors des célèbres matchs Belgique - Hollande. Un train royal passa même à Weelde - Baarle-Nassau emmenant la reine Wilhelmine et sa fille, la princesse Juliana, lors d'un voyage officiel en Belgique en mai 1935. À la libération, des trains de prisonniers de guerre belges revenant des stalags allemands passèrent sur la ligne, mais aussi des trains de survivants des camps de concentration. Quant à la partie néerlandaise de la ligne, elle fut utilisée par l'atelier d'entretien des locomotives de Tilburg pour des essais en ligne.

Mais le trafic de marchandises régulier s'étiolait sur la ligne, cantonnée à l'approvisionnement local : du charbon et de l'engrais (du guano...) arrivait de Belgique, des tulipes, des produits laitiers, voire du genièvre au tonneau, venaient des Pays-Bas... Aussi, les installations ferroviaires frontalières furent petit à petit réduites...

La majorité des bâtiments de cette singulière gare frontalière disparut vers 1959. Quant aux autres... un petit malin leur donna une tout autre destination : très au courant du tracé des enclaves, il y installa, en territoire néerlandais, des jeux de hasard - roulette notamment - autorisés par la législation néerlandaise mais interdits en Belgique. L'initiative fut évidemment l'objet de polémiques sans fin entre douaniers et juristes belges et néerlandais. Passons...

Quant au dernier train commercial, il circula entre Tilburg et Turnhout le 1 ' juin 1973 : c'était un convoi de pèlerins hollandais pour Lourdes. La ligne fut ensuite déclarée « hors service » pour les besoins de la SNCB et des Nederlandse Spoorwegen....

 

« HET BELS LIJNTJE » EN 2004,

PISTE CYCLABLE À TRAVERS LES ENCLAVES...

En 1974, une société de trains touristiques fut créée et fit circuler des trains à vapeur entre Tilburg Ouest et le domaine de Schaluinen, situé près de Baarle-Nassau-grens. Si les touristes descendaient à Schaluinen, le train se rendait, lui, à vide, à Baarle-Nassau-grens pour la remise en tête de la locomotive. Les organisateurs de l'époque ont toujours espéré en vain - obtenir de la SNCB un permis pour prolonger le train touristique jusqu'à Turnhout. Dix ans plus tard, la ligne touristique ferma.

Tant côté belge que néerlandais, l'assiette de la voie - déferrée - fut alors transformée en une piste cyclable récréative, qui a gardé l'ancien surnom de la ligne «Net Bels Lijntje». C'est en parcourant celle-ci que chacun pourra découvrir les vestiges ferroviaires du passé, et notamment l'ancien bâtiment de gare de Weelde-Merksplas, aujourd'hui restauré et privatisé, ou le site de la gare internationale, aujourd'hui transformé en réserve naturelle... tout en traversant à plusieurs reprises la frontière belgo néerlandaise... au gré des irréductibles enclaves que l'histoire nous a léguées depuis près d'un millénaire.

LES ENCLAVES INTERNATIONALES EN EUROPE

Selon le droit international, un territoire est enclavé lorsqu'il est entièrement entouré par celui d'un autre État, sans aucun accès direct. Remarquons néanmoins qu'un territoire ayant accès aux eaux internationales, comme la Principauté de Monaco, n'est pas une enclave à proprement parler, puisqu'on peut y accéder sans empiéter sur la souveraineté d'une autre puissance. En Europe, outre Baarle-Duc, trois autres enclaves, héritages de l'Ancien Régime, subsistent aujourd'hui: Llivia, enclave espagnole en territoire français, sur le versant nord des Pyrénées, Campione d'Italia, une commune italienne située sur la rive orientale du lac de Lugano, et entièrement enclavée en Suisse, car les eaux du lac sont considérées juridiquement comme des eaux intérieures et non internationales, et Büsingen, enclave allemande relevant du Land de Bade-Wurtemberg en territoire suisse. Mais la commune belge de Baarle-Duc est la seule enclave à être composée de... vingt-cinq parties, ce qui est unique au monde!

Le dernier train commercial circula entre Tilburg et Turnhout le 1er juin 1973 :
c'était un convoi de pèlerins hollandais pour Lourdes.

Auteur : Roland Marganne

« Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB septembre 2004

Gare frontière de Baarle-Nassau

Rue de la gare à Baarle-Nassau  Gare de Baarle-Nassau

Explosion de la chaudière de la locomotive belge type 9 à Baarle-Nassau (1932)   Explosion de la chaudière de la locomotive belge type 9 à Baarle-Nassau (1932)

 

 

Brève histoire des trains Pullman

en Belgique

A la fin du XIX' siècle, à peu près à la même époque, furent fondées d'une part la Compagnie internationale des Wagons-lits (CIWL, 1876) et d'autre part la British Pullman Palace Car Company (1882). La première exploitait sur le continent européen des voitures-lits, des voitures-restaurants et des voitures-salons à l'ancienne. La seconde confinait ses activités au Royaume-Uni et utilisait des Pullman-Cars de grand luxe où le voyageur était servi à sa place dans les convois de jour.

Après la guerre de 1914-1918, il y eut un rapprochement entre les deux compagnies du fait qu'elles étaient présidées par le même homme, Sir Dalziel, plus tard Lord de Wooler. La CIWL avait pris conscience que ses antiques voitures-salons en teck avaient fait leur temps et voulait créer des trains Pullman « à l'anglaise » mais répondant aux standards européens. Un premier essai fut réalisé en 1925 entre Milan et Nice avec des voitures de la British Pullman Car Company légèrement adaptées aux normes européennes.

Cette première tentative fut assez concluante et la CIWL commanda auprès des diverses usines fabricantes une série de somptueuses voitures Pullman de 1er classe comportant 32 fauteuils-club pour les voitures sans cuisine et 24 pour celles avec cuisine. Ce matériel permit d'inaugurer l'année suivante la Flèche d'Or Paris-Calais dont la correspondance à Douvres avec un train de la Pullman Car Company était assurée via le paquebot Canterbury.

L'année 1927 connut un événement marquant pour la Belgique avec la création, le 15 mai, de l'Étoile du Nord Paris-Bruxelles-Amsterdam. Sa particularité était d'accueillir des voyageurs de seconde classe, la CIWL ayant tenu compte de la réputation des Belges et des Hollandais d'être très économes. On construisit donc une série de voitures Pullman avec des tables à deux et quatre places offrant au total 51 places dans les voitures sans cuisine et 38 dans celles avec cuisine. En même temps fut créé le Calais-Bruxelles Pullman Express qui, avec une composition plus modeste que la Flèche d'Or, reliait Bruxelles à Calais avec correspondance en Angleterre via le même paquebot Canterbury.

Le 15juin 1928, ce fut la création de L'Edelweiss Amsterdam-Bruxelles-Luxembourg-Strasbourg-Bâle. Ce train, à composition variable suivant les saisons (fort limitée en hiver), comportait les deux classes. Parfois il s'y trouvait une Pullman de 1er classe qui poursuivait le trajet jusqu'à Zurich à la remorque d'un train ordinaire des CFF. Le règlement stipulait que les voyageurs de 2e classe étaient autorisés à prendre place sans supplément dans cette voiture entre Bâle et Zurich (!).

Autre chose, pendant l'été 1928 circulait un train Pullman d'un genre un peu particulier : le Paris-Côte belge Pullman Express. Il comptait deux voitures (1er et 2e classes) pour Ostende et autant pour Blankenberge, lesquelles continuaient jusqu'à Knokke-le-Zoute via un raccordement qui n'existe plus. Étrange aussi était l'aspect extérieur de ce train car les voitures de 1er classe, prêtées par la Pullman Car Company, étaient d'un gabarit différent de celui de la voiture de 2e classe (une CIWL) à elles accolée!

 

A l'aube de 1930, notre pays voyait passer sur son territoire cinq trains Pullman complets: un beau score qui ne fut plus jamais égalé.

Ce train ne circula que du 1er juillet au 31 août 1928 en raison des résultats peu favorables et surtout à cause de la position du Nord français qui préférait favoriser les plages de son réseau.

Le 15 mai 1929 vit la première circulation d'un deuxième train Pullman sur le trajet Paris-Bruxelles-Anvers (plus tard prolongé à Amsterdam). Ce fut l'Oiseau bleu, ainsi dénommé en hommage à Maeterlinck, le grand poète belge, prix Nobel de littérature. Le 1' juillet de la même année, le train Ostende-Cologne Pullman Express fut inauguré. Il permettait d'accomplir le voyage Londres-Cologne en seulement douze heures d'un confortable voyage de jour grâce aux bonnes correspondances avec les trains anglais et les paquebots belges.

À l'aube de 1930, la Belgique voyait passer sur son territoire cinq trains Pullman complets, sans compter la voiture Pullman de 1" classe accrochée au train de wagons-lits Nord-Express de Paris à Liège. Un beau score. Hélas, 1930 marqua le début de la grande dépression économique amorcée par la chute des cours à la Bourse de New-York en octobre 1929.

Le trafic s'éroda progressivement, obligeant à diminuer le nombre de voitures des divers trains.

Puis les bruits de guerre se répandirent (réoccupation militaire de la Rhénanie, Anschluss de l'Autriche, Conférence de Munich...). Au 15 mai 1939, le train de luxe Bruxelles-Calais fut supprimé et remplacé par un train ordinaire. Un indicateur d'octobre 1939 (imprimé avant la déclaration de guerre) stipule même que le Pullman Ostende-Cologne devait être fusionné avec un train international ordinaire.

Le 3 septembre 1939, les trains Pullman furent remisés. Après la guerre, ils ne réapparurent pas car l'heure était aux trains « lourds ». Le 9 janvier 1946, un premier « couplage Pullman » fut incorpore au trais, Bruxelles-Amsterdam du matin. Le 15 mai de cette même année, l'Étoile du Nord refit surface avec quatre voitures Pullman (deux de première classe et deux de seconde)... suivies de voitures ordinaires et d'un wagon-restaurant. Deux ans plus tard, l'Oiseau Bleu connut le même sort : un couplage Pulman Bruxelles-Paris accolé à des voitures de réseau. On vit même pendant une période assez courte une voiture Pullman de 2' classe accolée au wagon-restaurant du train de jour Bruxelles-Bâle. On était loin de l'Edelweiss d'antan...

1957 porta un coup fatal aux voitures Pullman encore en service : elles perdirent leur nom prestigieux, repris par les nouveaux TEE. Désormais, il n'y eut plus qu'une voiture Pullman de 1 classe qui circula dans les trains anonymes Bruxelles-Paris, du midi et du soir... jusqu'en 1963 (électrification de Bruxelles-Paris) qui vit l'arrivée des TEE avec locomotives poly courant et voitures inox. Ce fut le requiem final des Pullman surannées qui traînaient derrière elles un parfum de luxe des années 30.

L'élaboration d'un réseau de grands trains Pullman connut son apogée vers 1930, se maintint en dépit de la crise économique qui suivit, se mit en veilleuse en 1936-45 pour ressusciter après la guerre mais en perdant toute autonomie par l'adjonction de voitures toutes classes... Cette époque contenait toutefois en germe l'idée d'un réseau européen repris par la suite avec les TEE, puis les TGV, EUROSTAR, THALYS et autres ICE. Les concepteurs des Pullman étaient des pionniers dans une Europe encore incertaine mais dont l'avenir était à construire.

Auteur: Pierre Vankeer

« Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB septembre 2004

LA LIGNE DU LUXEMBOURG

EST EN FÊTE!

Le 5 septembre dernier, la SNCB a commémoré avec faste les 150 ans d'existence du tronçon Bruxelles - La Hulpe de la ligne du Luxembourg: une bonne occasion pour remonter le cours sinueux de sa longue histoire ...!

LA PROVINCE DU LUXEMBOURG DÉLAISSÉE PAR LE RAIL ?

Initialement, le rail délaissait les provinces déshéritées de Belgique. La loi du 26 mai 1837 modifia quelque peu cet état de chose: elle décréta notamment une extension du réseau projeté par l'État vers les provinces de Namur et du Limbourg. A titre de compensation, une loi du 29 septembre 1842 accorda à la province du Luxembourg un budget de deux millions de francs afin de compléter et d'améliorer ses voies de communications ordinaires. Le relief accidenté de la province ne semblait pas se prêter à la construction d'un chemin de fer à moins d'engager des travaux et des dépenses considérables.

L'AFFLUENCE DES CAPITAUX PRIVÉS ET ÉTRANGERS

De 1844 à 1870, l'extension du réseau des chemins de fer fut abandonnée à diverses compagnies privées qui obtinrent de l'État la concession de la construction et de l'exploitation des nouvelles voies ferrées. Elles déployèrent une grande activité si bien qu'au 31 décembre 1870, sur 3 136 km de voies constituant le réseau ferré de la Belgique, la part de l'État n'était que de 585 km de voies construites par ses soins et de 902 exploitées par lui!

Les capitaux privés anglais s'intéressèrent notamment à la province du Luxembourg. Sans trop se préoccuper des intérêts locaux, des hommes d'affaires conçurent ainsi l'idée de relier, par voie ferrée, Londres à Gênes et Trieste comme étape d'une liaison rapide de l'Angleterre vers les Indes. La loi du 18 juin 1846 accorda à F.-F. de Clossmann et consorts la concession du chemin de fer du Luxembourg. Une société - La Grande Compagnie du Luxembourg - fut ensuite créée, au capital social de septante-cinq millions de francs. Le cahier des charges décrivait ainsi le tracé envisagé:

Le chemin de fer du Luxembourg partira de Bruxelles. D'une station située au quartier Léopold, il se dirigera vers le chemin de fer de Louvain à la Sambre, qu'il atteindra à Navre et avec lequel il pourra, en outre, être relié au moyen d'un raccordement aboutissant à l'une des stations intermédiaires de la section de Wavre à Gembloux. Depuis le point de jonction des deux lignes jusqu'à Namur, les convois du chemin de fer du Luxembourg feront usage du chemin de fer de Louvain à la Sambre, qui sur cette partie de son développement, sera déclaré commun aux deux lignes (...).

De Namur, le tracé de la ligne du Luxembourg sera conduit sur Arlon par Ciney, Rochefort et Recogne; d'Arlon, il pourra être prolongé jusqu'aux frontières française et grand-ducale, dans les deux directions de Longwy et Luxembourg.

Le chemin de fer du Luxembourg aura deux embranchements obligés, l'un vers l'Ourthe, l'autre sur Bastogne.

La station de départ de Bruxelles sera mise en communication avec le railway de l'Etat, par un raccordement qui aboutira à la station du Nord; le Gouvernement pourra, en outre, sur la proposition des concessionnaires, autoriser une jonction avec la station du Midi.

LES DÉBOIRES DE LA COMPAGNIE ET L'ÉVEIL DES INTÉRÊTS LOCAUX

Les travaux débutèrent promptement. Déjà, en novembre 1847, le remblai et la maçonnerie des deux ponts bousculaient le paysage agreste à Watermael. A Boitsfort, la chaussée était coupée et les badauds admiraient les combinaisons de la voûte en biais du viaduc-tunnel. Un peu plus loin, entre les étangs, l'énorme remblai commencé par deux bouts s'achevait. Tout le terrain était pratiquement nivelé jusqu'à Groenendael, où l'on «pilotait» les bas-fonds pour supporter les arches du pont enjambant la chaussée de Tervueren à Mont-St-Jean ...!

La première pierre du bâtiment à voyageurs de Bruxelles-Quartier-Léopold
fut posée le vendredi 22 juillet 1853: une médaille commémorative
fut frappée à cette occasion.

 

La réalisation de la ligne du Luxembourg n'en fut pas immédiate pour autant! En effet, dès sa création, la Compagnie connut de nombreux et longs déboires. Faute de capitaux disponibles, les travaux entrepris entre Bruxelles et Navre furent rapidement abandonnés. L'État prorogea les délais de construction à diverses reprises. Mais le discrédit augmenta parmi les actionnaires et les appels de fonds restèrent infructueux. En prétextant la déchéance de la Compagnie de Louvain à la Sambre, la société crut pouvoir en sortir en requérant l'annulation de la concession et la restitution du cautionnement. Elle s'engagea sans succès dans un procès avec l'État.

Entre temps, une loi grand-ducale autorisait la négociation de l'établissement d'un chemin de fer se rattachant à la ligne du Luxembourg. A cette époque, l'initiative privée de la Grande Compagnie du Luxembourg éveillait enfin l'intérêt de la population des régions à traverser. Les mandataires politiques locaux réagirent et adressèrent mémoires sur mémoires au Gouvernement.

Afin de limiter les dégâts et d'éviter de proclamer la déchéance de la Compagnie, la loi du 20 décembre 1851 octroya une nouvelle aide de l'Etat et une garantie d'un minimum d'intérêt aux actionnaires. Nonobstant l'amélioration notable de ses conditions d'existence, et au lieu de se consacrer à la construction de la ligne du Luxembourg, la Compagnie s'engagea inconsidérément dans l'achat d'autres concessions... ! Finalement, Sir William Magnay - président de la Compagnie - posa solennellement la première pierre du bâtiment à voyageurs de Bruxelles-Quartier-Léopold le vendredi 22 juillet 1853: une médaille commémorative fut même frappée pour l'événement! À ce moment, la pose de la voie était enfin achevée jusqu'à Boitsfort et débutait vers Groenendael...

VICTOR TESCH ENTRE EN SCÈNE

La mauvaise situation financière de la Société perdura et suscita un vif mécontentement parmi les actionnaires. De nombreuses irrégularités relevées dans la gestion des administrateurs éveillèrent l'attention du Parquet belge. Trois hommes d'affaires furent mis en cause et condamnés à de fortes amendes, à des peines d'emprisonnement. Le 10 mars 1855, une assemblée des actionnaires nomma un nouveau Conseil d'administration. Celui-ci se composa alors de banquiers anglais et belges dont Victor Tesch (1812-1892), une personnalité importante de la vie politique belge et luxembourgeoise, originaire de Messancy.

Un comité permanent d'administration fut établi à Bruxelles et obtint une nouvelle prolongation des délais de construction. Les différents tronçons de la ligne du Luxembourg - longue de 208 km - furent respectivement ouverts à l'exploitation voyageurs aux dates suivantes :

Date Longueur (KM) Tronçon
26/08/1854 15 Bruxelles-Quartier-Léopold - La Hulpe
14/06/1855 23 La Hulpe - Gembloux
10/09/1855 11 Gembloux - Rhisnes
14/04/1856 6 Rhisnes - Namur
23/10/1856 6 Bruxelles Nord - Bruxelles-Quartier-Léopold
19/05/1858 30 Namur - Ciney
07/07/1858 37 Ciney - Grupont
08/11/1858 70 Grupont - Arlon
16/09/1859 10 Arlon - Sterpenich(frontière)
  208  

 

Le tracé projeté fut donc modifié: les villes de Wavre et de Rochefort furent délaissées par le rail.

À partir de Recogne, le tracé dit des vallées (par Recogne, Neuvillers, Petitvoir, Les Bulles, Sainte-Marie, Vance, Fouches) fut aussi abandonné au profit du tracé actuel (par Libramont, Longlier, Lavaux, Marbehan, Habay, Fouches).

PREMIERS PARCOURS D'ESSAIS

Un convoi d'essai parcourut la section Bruxelles - La Hulpe de la ligne du Luxembourg le samedi 22 avril 1854. La locomotive, portant le nom de Duchesse de Brabant, et conduite par M. Marchai, l'ingénieur en chef responsable des travaux, quitta la station du Quartier-Léopold, en remorquant deux voitures où se trouvait le personnel attaché à la construction. Diverses expériences eurent lieu pendant ce voyage d'essai. Ce chemin de fer présentant des rampes en moyenne trois fois aussi fortes que celles des autres lignes existantes, il était important de constater que les machines, telles qu'elles étaient construites alors, présentaient toutes les garanties désirables. Le convoi lancé à grande vitesse fut arrêté immédiatement sur l'une des pentes les plus raides, par le jeu de frein de la machine seul. Arrêtée au milieu d'une rampe, la machine, remise en mouvement, l'a franchie sans difficulté. Cet essai prouvait une fois de plus que les chemins de fer à fortes rampes ne présentaient désormais plus de difficultés particulières à la circulation des convois ...

INAUGURATION DE I.A PREMIÈRE SECTION DE I.A LIGNE DU LUXEMBOURG

L'inauguration de la première section de ligne eut lieu le mercredi 23 août 1854. Le départ du convoi était prévu pour 14 heures. Tous les invités se trouvaient réunis dans les salons de la Compagnie, rue d'Italie, à Ixelles, où un déjeuné était préparé. A 14 heures et demie, les invités prirent place dans le convoi d'honneur, composé de six berlines (sorties des Ateliers Pauwels de Molenbeek) et remorqué par une locomotive puissante de soixante chevaux: la Duchesse de Brabant (construite par les Ateliers Saint-Léonard de Liège): Nous partons. Peu de voies ferrées présentent sur leur parcours des points de vue plus pittoresques, des paysages plus attrayants que celle qui mène de Bruxelles à La Hulpe! Après une large courbe de 1 400 m, qui nous fait traverser un immense, un magnifique viaduc, nous arrivons en dix minutes au plus, à Boitsfort.

Il nous faut tout au plus dix minutes pour franchir les six kilomètres et demi qui nous séparent de Boitsfort. Le convoi ne s'y arrête pas. Il ne s'arrête pas même à Groenendael. Nous descendons à la Hulpe au bout de 25 minutes. La foule des paysans encombre la station toute pavoisée. Deux ouvriers s'avancent et présentent à Sir William Magna y, président de la Compagnie, deux vases en albâtre garnis de fleurs artificielles. L'honorable baronnet remercie en français, dans les termes les plus choisis et les plus bienveillants. Ses paroles sont couvertes d'applaudissements unanimes. Des laquais présentent le vin d'honneur, puis Sir William s'avançant sur la voie, élève un verre de champagne, et prononce ces paroles: «Le Gouvernement ayant autorisé l'ouverture de la première section du chemin de fer du Luxembourg, je déclare le chemin de fer du Luxembourg ouvert!» Et au milieu des applaudissements frénétiques de l'auditoire, il lance son verre sur les rails et le brise en mille morceaux.

Le convoi se remet en route jusqu'à la station suivante de Rixensart où le comte Félix de Mérode possède un de ses plus beaux châteaux. Le convoi s'arrête dans la commune, et M. Bosquet, receveur du comte, y fait grandement les honneurs de la fête. Le convoi poursuit sa route jusque Lima/ où l'on visite un magnifique viaduc et contemple le château du baron d'Hooghvorst.

Le convoi retourna ensuite à Groenendael où un splendide banquet attendait les invités. Après les échanges de nombreux toasts, les invités regagnèrent Bruxelles à vingt heures quarante cinq.

L'EXPLOITATION ES! OUVERTE AU GRAND PUBLIC

L'exploitation de la première section Bruxelles - La Hulpe débuta le samedi 26 août 1854 avec quatre trains par jour et dans chaque sens, avec arrêt à Boitsfort et Groenendael. Le parcours Bruxelles - La Hulpe coûtait 1 F50 en 1fe classe, 70 centimes en seconde et 65 en troisième classe.

Le premier parcours d'essai intégra quelques expériences propres à vérifier que les machines étaient aptes à franchir des rampes en moyenne trois fois aussi fortes que celles des autres lignes existantes

Déjà, le dimanche 27 août, un accident - qui n'eut heureusement pas de suites fâcheuses - se produisit au convoi quittant Bruxelles Quartier-Léopold à 14h: Au moment où ce convoi, composé de dix-neuf voitures de toutes classes et contenant de sept à huit cent personnes, s'éloignait de la gare, remorqué par deux locomotives, un déraillement se produisit et les roues des six premières diligences se sont profondément enfoncées dans le sable formant le sol de la voie (le ballast d'alors!) au-dessous du pont de la chaussée de Wavre. Au choc causé par cet accident, tous les voyageurs ont déserté le convoi pour se précipiter en foule autour des diligences engravées, dont on s'était empressé de détacher les locomotives. On a pu alors reconnaître que la rupture de plusieurs coussinets, entre autres celle du premier coussinet d'excentrique, avait occasionné le déraillement. Des ouvriers, dirigés par des agents de la compagnie, se sont mis à l'oeuvre en toute hâte pour redresser les voitures et réparer la voie. Le rail excentrique a dû être changé et replacé sur de nouveaux coussinets. A l'heure où nous écrivons ce récit (15h30), le travail est loin d'être achevé, et il est douteux que le convoi puisse se remettre en marche avant 17 heures au plus tôt. Le plus grand nombre des voyageurs a bravement pris son parti de ce contretemps, et attend patiemment la fin de cet entr'acte à sa villégiature du dimanche. D'autres se sont fait rendre leur argent et sont partis, pédestrement et de fort mauvaise humeur, pour d'autres destinations.

Personne n'a été blessé, grâce à la lenteur du convoi, qui ne faisait que se mettre en marche et qui franchissait une courbe assez prononcée; toutefois, un monsieur a été fortement contusionné au front, et une dame, plus effrayée que meurtrie par la secousse, s'est trouvée mal. (..)

Dans son Guide sur le chemin de fer du Luxembourg, Eugène Van Bemmel décrit en 1859 le paysage bucolique, observé par le voyageur:

À peine avez-vous quitté la station du quartier Léopold, qu'une profonde tranchée suivie immédiatement de remblais considérables vous annonce la région montagneuse. Vous traversez la ceinture de vallons qui entoure la ville de ce côté, vallons qui renferment les beaux étangs d'Ixelles, les promenades d'Etterbeek, la large nappe d'eau de Saint-Josse-ten-Noode, et forment en se prolongeant les frais ombrages de la vallée de Josaphat. Bientôt les forêts apparaissent à l'horizon, à droite et à gauche. Vous franchissez une crête énorme sous un audacieux viaduc d'une seule arche, et vous descendez peu à peu vers le joli village de Boitsfort.

Le convoi, en quittant cette première station, se trouve sur un immense remblai d'où l'on découvre, à gauche, les étangs de Boitsfort bordés de petites maisons blanches, puis, au-dessus de ces maisons, des collines que couronnent les grands arbres de la forêt. À droite, la vue plane sur des fonds richement boisés. Nous pénétrons dans la forêt même, sombre et majestueuse futaie de hêtres, dont l'ail sonde en vain les mystérieuses profondeurs.

La vallée de Groenendael apparaît à droite avec ses étangs couverts de roseaux. Le chemin de fer coupe à la fois la route de Boitsfort à La Hulpe et celle de Tervueren à Waterloo. À gauche se creuse le sinueux vallon qui mène à Hoeilaart.

Cependant, les forêts s'éloignent et laissent apercevoir au loin, à droite, par une échappée, la butte du Lion de Waterloo. Les cultures reprennent un instant possession de la terre, puis se présentent de nouveaux étangs, plus pittoresques encore, et, tout au bout, le castel du marquis de Béthune. Nous sommes à La Hulpe. (..)

Dès 1873, l'État Belge reprit l'exploitation du réseau de la Grande Compagnie du Luxembourg. Il s'empressa d'effectuer les travaux de mise à double voie, de remplacer progressivement les anciens rails en fer par de solides rails en acier, de moderniser la signalisation existante, d'adapter les stations afin de faire face à toutes les nécessités du trafic. Au cours du temps et de l'urbanisation sans cesse croissante de l'agglomération bruxelloise, de nouveaux arrêts intermédiaires, parfois éphémères, virent le jour entre Bruxelles (Nord) et La Hulpe: Bruxelles (rue Sainte-Marie), Bruxelles (rue Rogier) (1865), Bruxelles (Chaussée de Louvain) (1865), Bruxelles (rue de la Loi) (1865), Etterbeek (1880), Watermael (1866), Forêt de Soignes (1898), Bakenbos (1933), Hoeilaart (1912). À partir des années 1880, un trafic de trains-tramways - précurseur du futur RER! - se développa ainsi entre Bruxelles et Ottignies.

Auteur : Paul Pastiels

« Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB novembre 2004

 

La locomotive à vapeur 29013 en gare de la Hulpe le 5 septembre dernier.

La gare de Boitsfort avant et après la Grande Guerre     La gare de Groenendael avant 1914

   La gare de La Hulpe en 2004

La gare du Luxembourg à la Belle Époque.

La gare de La Hulpe   La gare de l'hippodrome de Groenendael avant 1914.   La ligne entre Etterbeek et Bruxelles-Quartier-Léopold en 1939.